Une jihadiste lilloise condamnée à la perpétuité en Irak

La jihadiste lilloise Djamila Boutoutaou a été condamnée mardi à la prison à perpétuité pour appartenance au groupe Etat islamique (EI) par la Cour pénale centrale de Bagdad devant laquelle elle a plaidé avoir été dupée par son mari.

"Quand je l'ai épousé, il était chanteur de rap, c'est en arrivant en Turquie que j'ai découvert que mon mari était un jihadiste", a affirmé en arabe cette Lilloise d'origine algérienne de 28 ans à la cour. Une fois en Turquie, "où nous devions seulement passer une semaine de vacances", "mon mari a été contacté par un homme nommé al-Qourtoubi", a-t-elle encore raconté.

"Je les entendus parler de départ vers la Syrie et l'Irak", a-t-elle dit et aussitôt, ils "m'ont enfermée dans une cave avec mes enfants" Abdallah et Khadija, a-t-elle encore raconté. "Mon mari m'avait dit 'je ne veux plus t'entendre' et il m'a forcé à rester dans cette cave". Abdallah, dont elle n'a pas donné l'âge, a ensuite "été tué dans un bombardement", au cours de la longue et meurtrière contre-offensive des forces irakiennes pour repousser les jihadistes après leur percée fulgurante de 2014, a-t-elle dit. "Avant sa mort, je pesais 122 kilos, aujourd'hui, à cause de ma tristesse, je n'en pèse plus que 47".

Sans défense à la barre

Avant de commencer à l'interroger, le juge a demandé à la jeune femme qui s'est présentée en arabe comme "mère au foyer née en 1989" si elle était assistée d'un avocat. Brandissant une lettre qu'elle a présentée comme celle "d'un avocat français nommé Martin Pradel transmise par (sa) mère", la jeune femme a indiqué ne pas savoir si son défenseur avait pu faire le déplacement.

A trois reprises, les huissiers de la cour ont appelé l'avocat français par son nom. Faute de réponse, le juge a assigné un avocat commis d'office qui a plaidé pour la clémence, arguant que Djamila Boutoutaou avait été forcée par son mari de rejoindre l'EI. A la question du juge : "as-tu rejoint l'EI avec ton mari Mohammed Nassereddine et tes deux enfants?", la jeune femme qui a comparu dans un box grillagé en bois vêtue d'une tunique rose et d'un foulard marron, a répondu qu'elle l'avait fait contre son gré.

Dans un communiqué commun, ses avocats Martin Pradel et William Bourdon ont dénoncé les conditions de ce procès. Selon eux, Mme Boutoutaou, les autorités consulaires françaises qu'elle a pu rencontrer dimanche, et eux-mêmes n'étaient pas informés de l'imminence de l'audience. Ils souhaitent que la France "exige fermement des autorités irakiennes, dans le cadre de la procédure d'appel qui devrait s'imposer, le respect intégral des principes fondamentaux du droit au procès équitable" et qu'elle oeuvre au rapatriement de leur cliente et de son enfant, quand sa condamnation sera définitive.

Amine Elbahi, un Roubaisien dont la soeur se trouve en zone irako-syrienne, qui accompagne les familles dont un ou des proches ont rejoint le djihad dénonce la comdamnation de la Nordiste comme "une décision intervient à quelques jours des élections en Irak. On a l'impression que c'est une décision qui est prise pour satisfaire l'opinion publique". "Elle ne nie pas sa responsabilité, elle est prête à assumer, mais pas devant une justice expéditive. Le procès s'est déroulé en cinq minutes. Elle a reçu la visite des autorités françaises qui ne lui avaient pas signalé qu'elle allait être jugée. On ne lui a pas laissé le droit de se défendre", a-t-il ajouté.


'Obligée' de rejoindre l'EI

"C'est mon mari qui m'a obligée", a-t-elle  dit et redit. "Pendant les dix mois que j'ai passés en Irak, je n'ai pas vu mon mari qui passait son temps hors de la maison", a-t-elle poursuivi. "Il a été tué près de Mossoul, alors nos voisins nous ont emmenés à Tal Afar, et là-bas la femme de mon voisin et moi-même nous nous sommes rendues aux peshmergas", les combattants kurdes qui tenaient alors de larges pans du nord de la province de Ninive, où se trouvent Mossoul et Tal Afar.

Là, elle a été retenue dans le camp Tel Keif, avec d'autres femmes et enfants de jihadistes. En pleurs, elle a ajouté : "c'est comme si j'avais passé deux ans en prison : dix mois chez l'EI puis plus d'un an en prison".

Selon Amine Elbahi, "cette dame n'est pas coupable, mais victime. Dès 2008, sa mère avait signalé aux services de police et au procureur de la république que sa fille était endoctriné par un groupe sectaire. Elle n'a pas du tout été entendue ni prise au sérieux. Djamila a été recrutée par une famille, qui l'a ensuite emmenée en Algérie".


"Je regrette de m'être mariée avec lui"

C'est déjà cette version des faits, déjà, que Djamila Boutoutaou avait livrée en novembre dernier à une équipe de la télévision anglaise Skynews, qui réalisait un reportage sur les femmes de djihadistes détenues en zone irako-syrienne.

Pourquoi, si elle a été trompée dès le départ sur les intentions de son mari, n'a-t-elle pas cherché à s'échapper depuis trois ans ? C'est une question qui lui a été posée le journaliste de Sky News. "M'enfuir ? Comment ? Après cette porte, il y en avait une autre...", avait-elle répondu à l'automne 2017. "Je voulais, mais je ne pouvais pas. Je n'avais pas de téléphone, pas Internet... que pouvais-je faire ? Avec qui ? Qui pouvait m'aider ?". Puis la Lilloise, sa petite fille dans les bras, d'exprimer des remords face à la caméra : "Je regrette de m'être mariée avec lui, bien-sûr. Quand on m'a dit qu'il était mort, pour moi c'était : +ok, merci pour l'info+. Pour moi, il était comme un monstre. Désolée".

"Le prochain combat sera celui de la faire rapatrier et rejuger en France. Elle a une fille qui elle, n'a pas le droit d'être condamnée à la perpétuité. Elle doit être prise en charge, il y a une famille qui l'attend. C'est une famille qui aujourd'hui est complètement bouleversée" a commenté M. Elbahi.
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